Leïla SIMON commissaire d'exposition / critique d'art / coordinatrice > crieuse publique
EXPOSITIONS (sélection)
Au côté droit
Exposition personnelle de Claire Colin-Collin, commissaire de l'exposition : Leïla Simon, Eac Les Roches, 2023
Mon intervention pour le Prix Aica 2021, vous faisait part de moments, de moments « qui marquent, constituent, accompagnent.
Où l’on a qu’une envie c’est de chanter, danser, marcher à cloche pied.
Où l’on a qu’une envie, celle de courir pour ne pas perdre le fil de notre pensée.
Qui font que l’écriture devient un terrain de jeux, d’expérimentations, de découvertes et de plaisir.
Qui font que l’on ne peut que poursuivre.
Vous voyez ces moments ? Ces moments où la rencontre a lieu. Ces moments-Là. »
Ma rencontre avec Claire Colin-Collin est un de ces moments-Là.
L’exposition à Eac Les Roches vient le poursuivre.
Leïla Simon
- Juillet 2023 -
Chère Claire,
Après notre échange autour du titre que tu as proposé pour l’exposition à l’Espace d’art contemporain Les Roches, des mots, des phrases me sont revenus en mémoire, j’ai farfouillé dans mes notes et relu celles que tu as rédigées fin 2018 début 2019 (Merci, vraiment. Quel régal que de
pouvoir lire tes carnets).
Je me remets à penser au fait que tu répètes une forme pour laisser échapper ce qui doit advenir. Répéter le même geste pour le défaire, le libérer de toute maîtrise. Atteindre l’insaisissable, même si nous savons très bien que tu ne veux en aucun cas l’atteindre. L’atteindre serait la fin, or, ici, l’infini
est de mise.
Insaisissable, donc, telle une apparition. Tu sais que parfois j’hésite, s’agit-il d’apparition ou bien d’évaporation, voire de diffusion. Peut-être est-ce les deux, peut-être est-ce les trois. J’aime à penser que ce sont les trois.
En me remémorant notre discussion autour du titre que tu as proposé pour l’exposition à l’Espace d’art contemporain Les Roches, il me revient à l’esprit un passage de notre entretien pour la revue Possible. Celui autour des mots, du fait que parfois nous n’en avons pas pour décrire une impression et que c’est agréable. Posée parmi tes œuvres je le vis ce moment, en dehors des mots.
En dehors des mots et en même temps tu as choisi un titre aussi littéral qu’à double sens.
J’évoquais plus haut que j’étais retournée lire certaines de tes notes qui m’avaient marquée.
Si le tableau est le torse, est-ce que tu mets tes doigts dans la peinture comme les enfants le font dans la confiture ? Des doigts, il en a moins été question que du geste, mais en t’écoutant m’expliquer le titre que tu as proposé pour l’exposition à l’Espace d’art contemporain Les Roches, je me suis souvenue d’une peinture de Caravage, de l’incrédulité de Saint-Thomas qui l’amena à toucher pour croire. Attention cher lecteur, chère lectrice, il n’est pas question d’incrédulité, ici, ni de besoin de toucher.
Je reprends, si la peinture suinte du tableau est-ce que peindre c’est la panser ? Si le titre que tu as proposé reprend les trois derniers mots du poème « Le dormeur du val » d’Arthur Rimbaud, est-ce que la peinture serait à la fois quiétude et blessure ?
A très vite pour poursuivre,
Leïla
Et si...
Exposition collective avec Francis Alÿs, Amie Barouh, Patrick Bernier & Olive Martin, Eléonore Lubna & Louis Matton,
commissaire de l'exposition : Leïla Simon, Eac Les Roches, 2022
Note d’intention
Et si...
Cette exposition a été pensée en 2021-2022 par une française vivant et travaillant en France alors que la Covid semble ne pas vouloir stopper son élan avec tout ce que cela induit de bouleversements. Alors que des propos néfastes sont omniprésents aussi bien dans les médias que sur les réseaux sociaux, alimentés, exacerbés par des candidats à l’élection présidentielle 2022.
Alors… Besoin de sortir. Pour revenir. Ne pas baisser la tête. Avancer. Agir.
Et si, on se posait, qu’on observait, qu’on échangeait. Tout simplement.
Cette exposition présente des regards, des démarches.
Des rencontres.
Leïla Simon
La parole donnée
Exposition personnelle d'Isabelle Ferreira, commissaire de l'exposition : Leïla Simon, Eac Les Roches, 2021
Déclinaison de Suites
Fin 2020 - Début 2021, premiers échanges entre Isabelle Ferreira et moi, autour du projet de son exposition qui aura lieu à l’Espace d’art contemporain Les Roches. Compte tenu de la crise sanitaire, nous avons opté pour des rendez-vous téléphoniques. Isabelle Ferreira me raconte. Je prends des notes. J’écoute. Je questionne. Elle poursuit. Elle évoque. J’écoute. Je gribouille.
Deux - trois photos ponctuent la conversation.
Pause – Suite au prochain rendez-vous, même si ceci n’est pas tellement vrai.
L’histoire que m’a racontée Isabelle m’accompagne. Elle est là. Je tisse des liens avec sa pratique, les dénoue, les reprends. L’histoire que m’a racontée Isabelle me trotte dans la tête.
Elle m’a parlé de ces clandestins portugais qui sous Salazar ont fuit leur pays dans l’espoir de trouver une vie meilleure en France. Elle m’a parlé de ces photos déchirées en deux avant le grand départ. Elle m’a parlé de traversées périlleuses, puis de traversées du paysage et enfin du paysage. Elle m’a parlé d’une vidéo qu’elle a réalisée à la fin de ses études aux Beaux-arts.
Je la regarde. Je fais des recherches. Envie, besoin d’écrire ce que je vois, ce que j’apprends, ce que je tisse, ce que je recoupe.
Puis.
Nouveaux échanges téléphoniques. Isabelle me décrit son projet. Je prends des notes. J’écoute. Je questionne. Elle développe. Elle énonce. J’écoute. J’imagine.
Deux - trois, … puis cinq - six photos ponctuent la conversation.
Pause – Et comme on s’en doute, la suite n’attend pas le prochain rendez-vous. Les idées virevoltent. Les images se frayent un chemin. Les couleurs se déploient. Elle m’a annoncé le titre. Ça chante, ça parle. Belle interprétation. Le projet que m’a esquissé Isabelle m’emboîte le pas. Elle m’a relaté ses prospections. Elle m’a décliné des couleurs. Une approche pleine de délicatesse sans pour autant occulter les terribles conditions. Une approche pleine de bienveillance vis-à-vis de ces personnes obligées de s’exiler.
Les images se conjuguent au quotidien. J’attends. Envie, besoin de prendre le temps, de recevoir ce que je perçois, ce qui semble se profiler, ce que je pressens, ce qu’Isabelle met en place.
Nouveaux échanges, mais pas téléphoniques, dans l’atelier d’Isabelle, au cours d’une visite. On est trois, Isabelle, Marie Gayet et moi. Isabelle nous raconte. Je prends des notes. J’écoute. Je rebondis. Elle précise. Elle détaille. Je découvre. J’observe.
Deux – trois, … puis cinq – six, pour finir par quatorze – quinze portraits alimentent la conversation.
Pause – la suite on le sait s’étire dans le temps.
Pause – Scriiiiiiiiiiiiiiiiiiitch
Un geste, un simple geste.
Un geste qui en amène d’autres. Qui en a amené d’autres. Qui en amènera d’autres.
Un geste simple.
Un geste bref qui préfigure le point de départ d’une temporalité qui va s’étirer dans le temps.
Mais aussi.
Un geste qui révèle. Un geste qui raconte, à sa façon, mais comme toujours sans altérer la situation. Au contraire. Un geste de raccommodage. Un geste qui redonne corps.
Je les imagine. Je les entends. Je les sens. Envie, besoin de vivre avec eux, avec leurs impressions, de me kaléidoscoper dans ses surfaces colorées, de m’en éloigner pour y revenir.
Nouveaux échanges, mais pas téléphoniques, ni dans son atelier, dans les salles d’exposition d’Eac Les Roches, au cours du montage. Isabelle me présente ses œuvres. On déballe. On (re)découvre. Elle m’explique. Elle affine. Je rencontre. Je décortique.
Et la plongée se fait.
Pose – Pause – la suite est belle et bien là, dans un temps qui s’étire infiniment.
Une image à jamais captée. Et pourtant, après tant d’années, ce regard semble toujours nous échapper. Il est là. Silencieux.
Il est là. Tout nous est dit, muettement.
Les surfaces colorées témoignent de la pratique de la photo déchirée. Les surfaces colorées adoucissent les déchirements. Viennent les panser.
Pause – Le projet se poursuit. La rencontre se fait. Isabelle met en place, déplace, replace. Un dialogue prend corps. Magie. Retenir sa respiration, se faire oublier pour rester le plus longtemps là.
Pause – Un geste, celui d’Isabelle rejouant les Pétales pour La parole donnée. Je ne bouge pas, j’observe en me faisant la plus petite possible. Magie. Mouvements à jamais imprégnés.
Pause – Entrer après avoir frappé, car on le sent, on le comprend le moment est précieux, précis. Percevoir de nouveaux mouvements. Envie, besoin pour Isabelle de déposer ici, là, ici ou là. Envie, besoin pour Isabelle de matérialiser son regard, l’histoire qu’elle veut nous raconter. Par petites touches, tout se dévoile.
Je vis le plus possible le moment, je ne veux pas en perdre une miette. On échange et là ça y est il me faut partir. Il me faut écrire. Envie, besoin de raconter, à ma façon, sans pour autant altérer la situation. Envie, besoin de partager.
Pause – La parole donnée habite le lieu.
J’entends comme une voix. Celle d’Isabelle. Il me semble qu’elle nous dit, qu’elle leur dit :
Bienvenue.
Leïla Simon, commissaire de l'exposition
La parole donnée - Isabelle Ferreira, Eac Les Roches
Bleu de Berlin n°211
Exposition personnelle de Régine Mondon, commissaire de l'exposition : Leïla Simon, Eac Les Roches, 2021
Bleu de Berlin n°211 présente le travail de Régine Mondon à un instant T. Un instant T qui a pour origine sa démarche, son regard. Un instant T qui s’est aussi nourri d’échanges, de lectures, d’images qui nous accompagnent, de promenades et surtout de paysages. Ceux que l’on traverse, que l’on côtoie, que l’on arpente, que l’on contemple.
Alors que je réfléchis à cette exposition, il y a une image qui me vient à l’esprit, ou pour être plus précise un déroulé. Un fil que l’on tire. Avec délicatesse. Un fil que l’on observe s’étendre sur une surface donnée pour finir par s’en détacher. Pour finir par s’étirer. En suspension. Sans début ni fin. Ne délimitant plus. Hors de tout, hors du temps.
Qui dit « hors » ne sous-entend pas « rien ». Bien au contraire, vu qu’il m’évoque le fil de l’histoire, celui qui se déroule sous nos pieds au fur et à mesure de notre avancée. Un point de départ où la fuite n’est qu’une mise en perspective.
Un souffle qui nous pousse, nous donne des ailes.
Un souffle aussi fugace que prégnant.
Un souffle indomptable qui nous conduit à amarrer notre regard à l’horizon pour éviter tout évanouissement. Pour nous permettre d’en garder la trace.
Une rencontre délicate à matérialiser, à fixer.
La rencontre entre la matière et le vide. Un jeu d’équilibre.
On peut y voir le ciel, l’horizon et la terre.
Un graphisme palpitant décliné en variation continue.
Leïla Simon, commissaire de l'exposition :
Bleu de Berlin n°211 de Régine Mondon à Eac Les Roches
Sous la clarté nocturne
Avec Darren Almond, Stéphane Couturier, Sylvain Couzinet-Jacques, Anne-Sophie Emard, Geert Goiris, Marc Lathuillière et Zineb Sedira.
Œuvres du FRAC Auvergne
Commissaire de l'exposition Leïla Simon, Eac Les Roches, 2020
S’il fallait évoquer un point de départ, ce serait l’envie de penser une exposition en lien avec une collection, celle du Fonds régional d’art contemporain Auvergne. Alors que mes projets avaient pour origine une rencontre, un mot ou une atmosphère, j’ai souhaité explorer une sélection se construisant au fil des ans, me plonger dans une histoire, pour ensuite tisser mes propres liens en regard d’une actualité.
L’intérêt pour la préservation de notre environnement et de sa biodiversité se manifeste de plus en plus. Les mises en garde des dégâts que nous perpétuons sont davantage prises au sérieux. Pourtant, nous n’agissons pas aussi rapidement et efficacement que les circonstances l’exigent. L’oxymore « sous la clarté nocturne » reflète cette ambivalence.
Les œuvres, toutes photographiques, mettent en lumière des faits plus ou moins connus, plus ou moins camouflés. Certaines témoignent de la contradiction de nos actes, d’autres de notre égoïsme, voire de notre indifférence, face à des décisions privilégiant notre confort tout en détériorant l’environnement. Les artistes, dont les œuvres sont présentées, n’agissent pas, ici, comme des militant-e-s, mais plus comme des révélateur-rice-s de situations latentes. Leurs regards captent un état, rendent compte de nuisances plus ou moins perceptibles. L’aspect de chaque proposition, à la fois séduisant et effrayant, nous fait osciller.
Mais rien n’est réellement figé, l’abandon de certains projets offre, parfois, la possibilité à la nature de reprendre du terrain.
Leïla Simon,
commissaire de l'exposition "Sous la clarté nocturne",
Eac Les Roches, 2020
La baie aux 2 lunes
Avec Cécile Beau, Bianca Bondi & Antoine Donzeaud, Sarah del Pino, Atsunobu Kohira et Anna Tomaszewski.
Commissaire de l'exposition Leïla Simon, Eac Les Roches, 2019
A l'heure où l'écologie mobilise de plus en plus de monde, où le changement climatique nous démontre à quel point nous devons agir, changer nos façons de faire et revoir nos positions, j'ai souhaité poser mon regard sur des artistes travaillant de près avec la Matière.
Il s'agit moins d'un retour aux sources que de donner matière à penser, voire à panser. Laisser libre cours à la matière en la révélant, en l'accompagnant, en lui faisant emprunter des chemins de traverse. Suggérer de la rencontrer et de l'explorer. Prendre le temps de la voir.
« Prendre le temps » habite mes projets. S'arrêter - se poser pour mieux évoluer dans le tourbillon actuel où la vitesse, tout domaine confondu, est toujours poussée à son extrême.
Le titre « La baie aux 2 lunes » est une invitation à la contemplation. Observation légèrement déroutée par l'apparition de deux lunes. Nous avançons tels des funambules, où les pas de côté ravivent la flânerie. Les œuvres se révèlent d'autant plus avec le temps, les détails se laissent appréhender petit à petit. La Matière suit son cours grâce ou non aux bifurcations proposées.
Leïla Simon,
commissaire de l'exposition "La baie aux 2 lunes",
Eac Les Roches, 2019
Chut... Ecoutez, ça a déjà commencé
Avec Bertille Bak, Dector & Dupuy, Julie C. Fortier, Violaine Lochu, Marianne Mispelaëre et Till Roeskens.
Commissaire de l’exposition / Crieuse publique : Leïla Simon, Eac Les Roches, 2018
Oyé Oyé !
Je m’en vais vous raconter des histoires.
Ces histoires, ce pourraient être les vôtres.
Ces histoires vous sembleront extra-ordinaires et vous émerveilleront.
Et pourtant…
Ces histoires puisent toutes leurs inspirations dans le quotidien.
Dans votre quotidien.
Dans notre quotidien.
Venez donc écouter la rumeur du monde.
Chut… Ecoutez… ça a déjà commencé…
Alors que nous évoluons dans une société où nous sommes incités à dire ce qui nous passe par la tête, où l’opinion prévaut sur la vraie information, on peut regretter le fait qu’il y ait très peu de place donnée à la réflexion. Il n’est pas ici question des dérapages ou des faits divers engendrés par les réseaux sociaux mais bien de celui du temps de réflexion. En effet, les réseaux sociaux sont des supports très prisés pour délivrer des informations mais qu’en est-il de la réflexion ? Quelle place détient-elle aujourd’hui dans notre société ?
Et si l’on s’arrêtait un instant. Oui juste un instant.
Instant qui pourrait tout à fait s’étirer si on le désire. Instant pour prendre le temps de rencontrer et d’échanger. Instant pour créer des moments propices à la réflexion, pour créer des conditions pour voir et se rencontrer autrement. Instant pour se positionner face à ce brouhaha et mieux vivre avec l’autre.
Résistance certes douce mais belle et bien affirmée.
Chacun des artistes de l’exposition « Chut… Ecoutez, ça a déjà commencé » propose des formes d’échanges en décalage. En décalage et pourtant si simple à mettre en place. Leur formule magique : prendre le temps pour mieux dévoiler la poésie de l’ordinaire.
Leïla Simon, commissaire de l'exposition - Crieuse publique
Aquarius
Exposition personnelle de Charlotte Charbonnel, commissaire de l'exposition Leïla Simon, Eac Les Roches, 2017
Aquarius
« Voir, c'est comprendre, juger, transformer, imaginer, oublier ou s'oublier, être ou disparaître. » 1
Ces vers, de Paul Eluard, illustrent en partie le travail de Charlotte Charbonnel qui à l’instar des poètes « donne à voir ». Fine observatrice, l’artiste retient certains détails qu’elle examine, décortique minutieusement afin de mieux les appréhender. Telle une chercheuse, elle teste, expérimente voire même se prête à jouer au démiurge en créant certaines substances. L’artiste glane, recueille ou récolte des éléments que l’on ne sait pas regarder car à force de les voir on ne les voit plus. C’est ainsi qu’elle harponne des nuages, capture des cours d’eau, épingle des sons, chope des formes, suscite de la matière … Telle une magicienne, Charlotte Charbonnel fige puis fixe l’éphémère.
En posant son regard, car il est bien question de prendre le temps de regarder pour mieux voir, elle agit tel un révélateur qui transforme l’image latente en image visible. Révéler pour nous permettre de voir ou du moins pour attirer notre attention. Elle fait remonter à la surface des éléments restés jusqu’à présent dans l’ombre. L’artiste met en lumière la poésie de notre environnement et s’applique à nous indiquer que tout peut être de l’ordre du merveilleux, pour cela il suffit de le voir.2
Sous la foudre
un bruit de rosée
coule dans les bambous
Yosa Buson
Chaque oeuvre, chaque installation de Charlotte Charbonnel est une bribe de paysage, une échappatoire pour laisser divaguer notre esprit. L’étoile d’une constellation. L’exposition « Aquarius » pourrait-être perçue comme un jardin céleste dans lequel on vient flâner pour se laisser aller à la rêverie. Car si parfois Charlotte Charbonnel fige ou matérialise l’indomptable elle laisse toujours de la place au vagabondage. Quoi qu’il se passe chaque élément est mouvant. Tel un « jardin en mouvement » 3 la minutie de l’artiste laisse tout de même une part belle à la fantaisie, voire à l’incontrôlable 4.
En reliant les étoiles entre elles, les Hommes voient dans chaque constellation une légende. La magie de l’imaginaire opère ici avec délice. C’est ainsi que le porteur d’eau Aquarius verse sur le monde l'eau de la connaissance et de l'esprit.
Les oeuvres de Charlotte Charbonnel ne seraient-elles pas ainsi des porteuses d’émotions ?
Il ne tient qu’à nous de les voir …
Leïla Simon, commissaire de l'exposition Aquarius
pour visualiser le site de l'artiste cliquez ici
Note d’exposition : Lorsque j’ai commencé à réfléchir au titre de cette exposition mes recherches m’ont conduite jusqu’à la constellation « Aquarius ». Aquarius est le nom latin de la constellation Verseau qui se trouve être un Porteur d'eau. Je m’intéressais en effet aux constellations non seulement parce que c'est en lien avec le travail de Charlotte mais aussi parce qu’Eac Les Roches fait partie du parcours artistique les Échappées, en écho au Partage des Eaux. Ce réseau d'art contemporain s’est constitué autour de la ligne du partage des eaux. Or l’aquarius était l'ingénieur qui réalisait les aqueducs dans la Rome antique. Je découvris par la suite qu’Aquarius est également le nom d’une base sous-marine dépendant du National Oceanic and Atmospheric Administration. Ancrée au large de la Floride, elle permet à des chercheurs de rester plusieurs jours au fond de l'océan pour étudier le récif corallien ou préparer des missions spatiales. Il se trouve que Charlotte a justement utilisé des sons de cette base pour réaliser ses sons inconnus.
Leïla Simon
1 Paul Eluard, « Donner à voir »
2 Les fils des éléments d’écoute qui se glissent, se faufilent, s’infiltrent viennent ajouter de la fraîcheur aux installations, intensifier avec finesse le merveilleux du quotidien.
3 Le Jardin en Mouvement de Gilles Clément s’inspire de la friche : espace de vie laissé au libre développement des espèces qui s’y installent.
4 La lumière selon l’heure de la journée, les saisons ou l’éclairage retenu jouent un rôle important pour contribuer à révéler ce que l’on ne savait voir. Le son est dévoilé par des volumes, des formes ou des textures. La minutie est contrebalancée par la sinuosité des fils…
La rose bleue
Exposition avec Jean-Baptiste Caron, Nicolas Dhervillers, Maxime Duveau, Delphine Gigoux-Martin, Elsa Guillaume, Cécile Hesse & Gaël Romier, Magali Lambert, Corinne Mercadier et Laurent Pernot, Commissaire de l'exposition Leïla Simon, Eac Les Roches, 2016
La rose bleue
Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune
JauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJaune
WHOU-OU-OU-OU PLOC-FLOC FLIP BAOUMBADABOUM ! SCRAAAATCH
PLOC-FLOC, FLIP-FLIP - SCRAAAATCH - HOUHOU, WOOOV, VOO BAOUM
Mais… Où ai-je bien pu les mettre ? Peut-être qu’elles ont glissé ? Dans la chapelle ? Non je les aurais entendues tomber… Sur le sentier… ? Dans l’herbe… ?
Mouillée, complètement trempée. Je ressens encore la matière froide, lisse, puis martelée, irrégulière. Le contraste de cette blancheur immaculée avec ce rouge vif puis le noir mat crissant entre mes doigts. Ce dernier, à la fois lisse, doux, arrondit et dur, a laissé son empreinte dans le creux de ma main. Le sable et les galets sous mes pieds me l’ont rappelée. Un son me parvient, ou plutôt un grondement sourd, répété mais de façon irrégulière. Non… Il s’agit plutôt d’un grognement ou peut-être bien d’un souffle ? En fait, c’est plus précisément celui d’une respiration, celle produite via un masque à oxygène.
Mais où ai-je bien pu les laisser… ? Sur le contact ? Sur le siège ? L’orage gronde…
Un, deux, trois, quatre, cinq traits jaunes. De les compter m’aide à rester éveillée mais plus j’avance et plus ces traits ne font qu’un. Tout tourbillonne autour de moi. Le ciel gronde. Des lumières vives viennent le parsemer aussi brièvement que ponctuellement.
Riders on the storm, riders on the storm,
Passagers de la tourmente, passagers de la tourmente,
Into this house we're born, into world we're thrown
Dans cette maison nous sommes nés, dans ce monde nous sommes jetés
Like a dog without a bone, an actor out on loan.
Comme un chien sans son os, comme un acteur de remplacement.
Riders on the storm. Passagers de la tourmente. (1)
Shlak Shlak Cuit cuit cuit. Répétitif et régulier. On sent les poils tomber, glisser au sol. Effleurant, chatouillant, se glissant avec parcimonie. C’est à la fois désagréable et appréciable. Je m’enraye. La répétition commence à me bloquer. Je me raidis de plus en plus. Qui suis-je le coupeur ou le découpé ?
Blanc
Mais, ce n’est pas vrai ! Un homard géant sortant d’un meuble ! Toute notion d’échelle a disparu, mes repères se brouillent, mes sens en sont bouleversés. Je suis de plus en plus ensevelie dans une profondeur sans fin mais toutefois palpable tel un voile m’enveloppant sans pour autant me toucher.
Tout est bouleversé, inversé, réorganisé.
Des plumes dans une cage ;
Une cage à lune ;
Un oiseau sans cage.
« N’aie pas peur » me chuchote la poupée à la feuille,
« N’aie pas peur » me murmure le crocodile au coquillage.
Les traits jaunes se répètent de façon régulière pour ne finir par faire qu’une seule et même ligne semblant se dérouler à l’infini.
Impossible de la choper, ni de la stopper. Elle se déroule ainsi de plus en plus rapidement tel le fil d’une bobine.
Celle d’Ariane confiée à Thésée ?
Il y a forcément une fin, c’est sûr il y a forcément une fin…
Le vent claque et tourbillonne. Le tonnerre rugit sans vouloir se calmer. Les éclairs illuminent d’un bleu électrique la noirceur du ciel.
I know there's an answer
Je sais qu'il y a une réponse
I know now but I have to find it by myself
Je le sais maintenant mais je dois la trouver par moi-même. (2)
Noir
… à tâtons. C’est en effet plus évident. Cette obscurité finit par devenir palpable, elle m’enveloppe je la sens, je peux même la toucher. Elle devient matière, c’est à la fois soyeux doux et en même temps elle m’échappe, me fuit pour mieux m’attirer. Je me laisse happer. Noir ou plutôt un noir gris légèrement bleuté, un noir lauze plus qu’un noir ardoise. Tout semble si léger tel ce ruban d’une blancheur fluorescente flottant par magie dans ce lieu semblant abandonné. Les boules irradient de telle sorte qu’elles semblent délivrées de leur pesanteur.
Avancer, avancer sans se retourner c’est bien la condition imposée par Hadès, Dieu des enfers, pour rejoindre le monde des vivants.
Pour me forcer à me concentrer je compte la signalétique jaune de la route. Les traits se suivent sans relâche.
Plus je les énumère et plus je suis hypnotisée, happée par ce défilement. Ces traits se déroulent ainsi pour ne faire plus qu’une seule ligne.
Le vent siffle à mes oreilles, il se faufile de partout, s’infiltre dans les moindres recoins. L’air est de plus en plus lourd, électrique.
L’orage est prêt, tout près…
Funny how secrets travel
C'est marrant comme les secrets voyagent
I'd start to believe
Je commence à croire
If I were to bleed
Si j'étais en train de saigner
Thin skies, the man chains his hands held high
Des cieux fins, l'homme enchaîne ses mains en hauteur
Cruise me blond Cruise me babe
Conduis-moi blonde Conduis-moi bébé
A blond belief beyond, beyond, beyond
Une croyance lumineuse au-delà No return, no return Pas de retour, pas de retour. (3)
On the road…
On les entend encore où n’est-ce que m’on imagination nourrie par ces affiches et cette route. Les notes, les paroles, le brouhaha du public semblent avoir gelés à jamais à l’instar de ce cactus en fleur. La végétation a réinvesti les lieux préservant toutefois les empreintes indélébiles de cette époque mythique. Suivre, décortiquer les traces pour remonter le fil de l’histoire.
L’oiseau tourne, tourne, tourne via la broche. Quelle beauté ce mécanisme, précis et minutieux.
Tout est bouleversé, inversé, réorganisé.
Des plumes dans une cage ;
Une cage à lune ;
Un oiseau sans cage.
Souffler. La première fois c’est d’un souffle imprécis peut-être même distrait. Ce filet d’air furtif se dépose délicatement sur le miroir. Une lettre apparaît puis deux, trois. Souffler de nouveau mais cette fois-ci avec plus de conviction. Le souffle chaud se dépose sous forme de buée sur la surface lisse. Une phrase apparaît pour aussitôt disparaître. Est-ce un effet d’optique, est-ce un tour que me joue de nouveau mon imagination. Souffler d’un souffle plein d’espoir, les yeux fixés sur un point précis j’en oublie mon propre reflet et là ça y est la phrase m’apparaît en son entier : « And if nothing had ever been ». Puis délicatement elle disparaît, me laissant libre cours à mes pensées.
Je chute, chute, chute dans un tourbillon à en perdre tout point de vue. « Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien » mais on le sait « l’important c’est pas la chute c’est l’atterrissage ». And if nothing had ever been… Et si rien ne s’était passé… Et si tout ça n’avait été…
Strange days have found us
Les jours étranges nous ont retrouvés
And through their strange hours we linger
Et au fil de leurs étranges heures nous languissons
Alone, bodies confused, memories misused,
Seuls, corps égarés, souvenirs abusés,
As we run from the day to a strange night of stone.
Comme si nous passions du jour à une étrange nuit de pierre. (4)
Leïla Simon, 2016
Commissaire de l’exposition « La rose bleue »
Espace d’art contemporain Les Roches
1 The Doors – « Riders on the Storm »
2 The Beach Boys – « I know there's an answer »
3 David Bowie – « I’m deranged »
4 The Doors – « Strange days »
Bons baisers de Vacances
Exposition personnelle de Françoise Pétrovitch, commissaire de l'exposition Leïla Simon, Eac Les Roches, 2015
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Bons baisers de Vacances, titre de l’exposition personnelle de Françoise Pétrovitch à l’Espace d’art contemporain Les Roches, annonce moins l’exposition qu’il ne la termine pour mieux amorcer les échappées dans l’imaginaire des visiteurs. Ce titre est en effet un indice. Cette phrase nous rappelle celle que l’on écrit pour terminer une carte postale par : Bons baisers de… Russie par exemple. Or la plupart du temps les textes écrits sur les cartes postales sont brefs. On y indique le temps qu’il fait et on y énumère nos activités. Texte bref, laissant au destinataire le soin de concevoir tout ce que l’on vit et découvre dans ce nouvel endroit. La photo du recto, une vue d’un paysage paradisiaque, participe également à ceci.
Dans cette exposition, il est question de l’espace des Vacances, sens affirmé par le « V » majuscule. Ce lieu, Vacances, regorge de souvenirs, de désirs, d’idéalisations, d’espérances… Ces sentiments sont, comme on le sait, mouvants voire parfois empreints d’illusions, mais ils nous parlent, même s’ils le font de façon différente selon la personne.
Les œuvres de Françoise Pétrovitch sont souvent empreintes d’ambiguïté. Dans Snowman, le bonhomme de neige n’est finalement pas si féérique que ça ; dans un autre dessin la jeune fille, au visage proche de celui d’une poupée de porcelaine, semble débordée de colère… Les personnages de Françoise Pétrovitch appartiennent tous au monde de l’adolescence, âge que l’on sait parsemé d’ambivalence. Cette étape sensible du développement de la personnalité, dont les enjeux peuvent être déterminants pour l’avenir, rend d’autant plus vulnérable l’adolescent qui connaît au même moment des changements physiques et psychiques le conduisant à des rapports conflictuels avec les adultes et plus précisément avec ses parents. Pendant cette période l’adolescent quitte le cocon de l’enfance, cheminant vers plus d’autonomie. Il se doit de trouver de nouvelles distances relationnelles. Cet âge initiatique le guide naturellement à s’interroger sur la solidité de ses acquis et de ses capacités.
Vulnérabilité qui est malgré tout empreinte de chance car ainsi fragilisé l’adolescent est contraint à l’indépendance et à se forger sa propre personnalité. De nouvelles alternatives s’offrent à lui. Les œuvres de Françoise Pétrovitch reflètent justement ce passage à la fois délicat et riche où se côtoient l’allégresse, l’indifférence et le malaise ; l’insouciance, le désenchantement, l’indolence et la dureté.
De ces œuvres il se dégage un sentiment de mélancolie. Non pas comme nous l’entendons aujourd’hui, un état dépressif, mais comme ce mot était défini dans la pensée antique et dans certaines périodes de l’Histoire de l’Art. Dans l’Antiquité la mélancolie permettait de vivre le deuil (ici ce serait celui de l’enfance), de se dépasser ou encore de trouver un sens à la vie, en d’autres termes, c’est un passage, un temps de crise, n’aboutissant pas forcément à un résultat négatif.
Et comme le relève Jean Starobinski l’attitude mélancolique ne peut-elle pas aussi s’entendre comme une mise à distance de la conscience face au désenchantement du monde. Désenchantement du monde, n’est-ce pas ce que peuvent ressentir les adolescents qui, malgré leurs attitudes équivoques, souhaitent quitter le monde de l’enfance pour intégrer celui de l’adulte ? Le malaise que l’on ressent face à ce qu’on a cru voir et ce que l’on croit finalement percevoir lorsqu’on regarde certaines œuvres de Françoise Pétrovitch serait alors de l’ordre de la melancholiadolescence. Nous sommes à la fois aspirés et tenus à l’écart. Témoins d’un sentiment que nous pensons être familier pour très vite s’en sentir exclus.
A l’instar des personnages, les espaces créés par Françoise Pétrovitch semblent s’être égarés. L’utilisation et la maîtrise du lavis permettent à Françoise Pétrovitch d’obtenir des fonds vaporeux. Ce rendu ne nous permet pas de situer où se déroule la scène. Cet univers, tout aussi nébuleux qu’aquatique, se diffuse jusqu’à déteindre sur les personnages, tel un voile flottant sur les souvenirs. Ces adolescents pourraient tout aussi bien se trouver dans une bulle de bien-être que de malaise. Cet aspect flottant rappelle les sentiments confus dont peuvent être en proie les adolescents, ayant toujours un pied dans l’âge tendre alors que tout le reste du corps se trouve dans un entre-deux explosif. Car il est bien question de corps chez Françoise Pétrovitch, de faire corps. Les corps des adolescents font corps avec la substance des dessins qui eux même font corps avec leurs sentiments ambigus.
Alors que dernièrement les paysages semblaient sur le point d’émerger des personnages de Françoise Pétrovitch (Paysages à l’estomac), le dessin Ile lui offre cette fois-ci le premier rôle. Le paysage a su être digéré pour mieux ressurgir. Il se répand sur toute la feuille. Est-ce un zoom des paysages à l’estomac, de l’inconscient des adolescents de l’artiste ?
Nous sommes face à des images mouvantes, changeantes. Elles nous imprègnent tout en nous glissant entre les doigts comme lorsqu’on rêve. Puis une fois que nous sommes réveillés, les rêves se révèlent sous la forme de bribes fondant comme neige au soleil.
L’artiste nous offre précisément des sensations fuyantes mais pourtant bien présentes, aussi présentes qu’elles disparaissent. Nous avons le même sentiment de frustration et de bonheur que lorsqu’on sent soudainement une odeur qui nous remémore quelque chose mais que l’on n’arrive pas à savoir de quoi il s’agit, tels des flashes qui s’imprègnent dans notre inconscient pour revenir, plus tard, bien plus tard. Les œuvres de Françoise Pétrovitch à l’instar des rêves, sont faites d’une substance vaporeuse et insaisissable où les souvenirs et l’oubli s’entremêlent nous offrant ainsi l’opportunité de vagabonder dans nos souvenirs, dans notre propre imaginaire. Ceci reflète bien les préoccupations de l’artiste qui sont moins narratives que picturales.
Mais où sommes nous ? Que nous arrive t-il ? Nous voilà embarqués dans des traversées d’angoisse mêlée d’enthousiasme. Françoise Pétrovitch nous entraîne dans un monde à la lisière du rêve et du cauchemar. Les choix picturaux de l’artiste nous donnent l’impression qu’une présence obscure est en train de se manifester, se tenant dans l’ombre, aux aguets. Cette ventriloque embrasse t-elle sa marionnette ou lui susurre t-elle de vilains secrets à dévoiler ?
Les céramiques de Françoise Pétrovitch participent également à ces impressions. L’aspect précieux et délicat des sculptures en céramique nous séduit mais là aussi une observation attentive sème le doute en nous. Demi-lapin assis ; tête de lapin bleu ; petite femme au glaçage blanc rappelant les malchanceux bonshommes en pain d’épices ; oiseau couché dont l’éclat de l’émail contraste avec sa position qui laisse plutôt penser qu’il a rendu l’âme. Le ventriloque aux yeux fermés a beau sourire sa marionnette ne se veut pas pour autant rassurante. Est-il goguenard à l’idée de ce qu’il nous prépare ? Va t-il nous bouleverser par ses déclarations ou nous faire rire ?
L’univers de Françoise Pétrovitch est aussi empreint d’humour, de malice. La vidéo Les photos de vacances des autres n’intéressent personne en donne le La. Des souvenirs de vacances racontés puis contés par la voix off d’un comédien alors que sont diffusées au même moment des photos sur lesquelles est intervenue l’artiste. Les souvenirs des personnes interrogées deviennent ainsi ceux des autres. Le visiteur peut s’en emparer pour mieux se souvenir.
Suite à l’exploration des mondes créés par Françoise Pétrovitch, le visiteur se retrouve lui aussi à flotter au-dessus de ses œuvres comme dans ces univers oniriques, quitte à basculer soudainement dans le rêve ou le cauchemar. Ses impressions ainsi bouleversées, il finit par faire corps avec les œuvres. Le travail de l’artiste a fini par déteindre là aussi mais cette fois-ci sur le visiteur.
Leïla Simon, 2015
Pour visualiser le site de l'artiste cliquez ici
On n'y voit rien - exposition pensée pour une soirée à 3 Temps
Dans le cadre de l'Intermède # 2 à PapelArt, galerie et plateforme de création à Paris, le vendredi 29 mai 2015.
Avec Cécile Beau, Ismaïl Bahri, Atsunobu Kohira & Nicolas Ly.
Cécile Beau, BIAŁE, 2007, Installation sonore, tirages argentiques contrecollés sur aluminium, chacun 80 x160 cm, dispositif sonore.
Ismaïl Bahri, "Foyer", 2014, video, 21mn13s
Ismaïl Bahri, "Foyer", 2014, video, 21mn13s
Déroulé de la soirée
Le texte qui suit a été écrit pour être dit
Protagonistes :
- Cécile Beau : Białe – 2007, Installation sonore, tirages argentiques contrecollés sur
aluminium, chacun 80 x160 cm, dispositif sonore.
- Ismaïl Bahri : Foyer – 2014, video, 21mn13s
- Atsunobu Kohira & Nicolas Ly : See of love, 2015, performance d'environ 7mn – salle
plongée dans l'obscurité
- Leïla Simon : commissaire d'exposition
- Kader et Chloé : serveurs des mets à savourer
Leïla :
Bonsoir et Bienvenue à PapelArt pour On n'y voit rien, une exposition pensée pour une soirée à 3 Temps. Vous allez pouvoir découvrir ou redécouvrir 3 oeuvres de 4 artistes, Białe de Cécile Beau, Foyer d'Ismaïl Bahri et See of love d'Atsunobu Kohira et Nicolas Ly.
Lorsque Maryline Robalo et Marie Cantos m'ont invité à organiser l'intermède #2 avec pour thématique le son, j'ai tout de suite pensé à Foyer d'Ismaïl Bahri où le papier révèle le son et vice versa. J'ai aussi eu envie de faire appel à mon fidèle compagnon artistique Atsunobu Kohira avec qui j'aime échanger et travailler. Puis mes réflexions m'ont amené tout naturellement à Białe de Cécile Beau, oeuvre qui a tout son sens dans cette exposition.
J'ai souhaité réaliser cette exposition sous forme de soirée afin que l'on prenne le temps de rentrer dans chacune des oeuvres, une soirée rythmée à 3 Temps ponctuée d'intermèdes introductifs.
Mes introductions à l'écoute et à l'observation des oeuvres à venir ne sont pas faites dans le but de vous les expliquer, ni d'ailleurs pour les illustrer. Elles sont plus à considérer comme des intermèdes vous préparant à la visite, à la découverte. Un sas vous invitant à basculer dans un autre monde le temps de cette soirée. J'aimerais ainsi vous offrir un moment propice au regard où l'on se laisse aller, où l'on redécouvre ce que l'oeuvre nous montre « silencieusement », où tout à coup ça y est on voit ce que l'on avait sous les yeux mais qu'on n'avait pas encore vue. Je souhaite vous affuter le regard et pour cela je vais faire appel à tous vos sens. Tout ici est en effet question de regards. Regard qui peu à peu s'aiguise pour mieux scruter, ressentir ; moment de révélation nous permettant de voir ; mais aussi vision d'une beauté si terrible que l'on peut si brûler.
Introduction pour Białe de Cécile Beau
Kader et Chloé servent au public un cocktail d'où s'échappe un nuage de fumée blanche dû à la glace carbonique.
Pendant ce temps
Leïla lit deux extraits tiré de Smilla et l'amour de la neige de Peter Hoeg :
pp. 16 – 17 « Il gèle depuis novembre. J'ai du respect pour l'hiver danois. Le froid – non pas celui qui est mesuré par le thermomètre mais celui que l'on ressent – dépend plus de la force du vent et de l'humidité que de la température vraie. J'ai eu plus froid au Danemark à Thulé. Quand les premières averses de novembre commencent à me fouetter le visage telle une serviette mouillée, je les affronte avec une capuche fourrée, un caleçon en alpaga noir, une jupe longue écossaise, un pull et une cape noire imperméable. La température baisse. La surface de la mer atteint alors – 1,8°C et les premiers cristaux de glace forment une mebrane temporaire que le vent et les vagues changent en frasil : d'abord une pâte grumeleuse, puis un glaçage de pâtisserie qui se fracture en plaques
flottant librement. Par un froid midi de dimanche, ces crêpes de glace ne font plus qu'une
seule couche solide. »
p.109 « Au-delà du port, la lumière monte timidement de la glace, comme si elle avait dormi dans les canaux, blottie sous les ponts, et la fait briller. A Thulé, la lumière réapparaissait en février. Quelques semaines avant de voir le soleil, alors qu'il se cachait encore loin derrière les montagnes et que nous vivions dans l'obscurité, ses rayons éclairaient Pearl Island, à cent kilomètres du rivage, et l'île étincelait tel un cristal de nacre rose. J'avais alors la certitude que, quoi qu'en disent les grandes personnes, le soleil s'éveillait d'un long sommeil après avoir hiberné dans la mer. »
> Ecoute et observation de Biale
Introduction pour Foyer d'Ismaïl Bahri
Leïla raconte :
La première fois que j'ai vu Foyer j'ai été éblouie, scotchée. C'était pendant ma visite de Sommeils à l'espace Khiasma. De nombreuses salles plongées dans
l'obscurité présentaient des vidéos d'Ismaïl Bahri. Toutes reprenaient le même procédé simple : un carré de papier blanc scotché en haut de la lentille de la caméra le vent le faisait bouger ne nous laissant apercevoir que quelques bribes du paysage. Toutes, sauf pour Foyer où le papier blanc était entièrement scotché. Cette vidéo était projetée dans la dernière salle, tout au fond. J'ai eu l'impression en la regardant de prendre subitement conscience de ce dont on parlait depuis déjà quelques années, depuis la Révolution de décembre 2010 en Tunisie. J'ai eu tout à coup l'impression que la Tunisie se révélait. Et pourtant il n'y a pas d'images à l'écran du moins c'est ce que l'on croit car chacune des discussions nous en proposent, nous en dévoilent. Ce film nous offre un temps où l'on peut digérer ce que l'on a vu, ce que l'on a entendu dans les médias, ce que l'on sait mais que l'on ne voit pas forcément faute de mise à distance, de n'avoir pas pris assez de temps pour tout décortiquer. Nous entendons des échanges entre l'artiste et des badauds curieux comme si la caméra devenait le lieu où l'on se retrouve autour pour prendre le temps de discuter, de laisser vagabonder notre esprit comme autour d'un foyer de cheminée. Le fait de ne pas comprendre l'arabe et que les sous-titres soient délicats à lire participent à cet étirement du temps.
Une conversion de notre regard se fait. Foyer nous donne à voir.
Kader et Chloé servent au public une brochette de 3 olives aux goûts variés.
> Projection de Foyer
Introduction pour la performance See of love d'Atsunobu Kohira & Nicolas Ly
Kader et Chloé servent au public un flan à la rose.
Pendant ce temps
Leïla : En ce moment, Atsunobu Kohira s'intéresse particulièrement aux Vanités. Comme vous le savez ce style pictural évoque la précarité de la vie et la futilité des occupations humaines. Il y a l'idée que tout est vain, tout est illusoire. Et il ne faut pas oublier que le mot vanité désigne également une personne satisfaite d'elle-même et étalant complaisamment son plaisir de paraître.
Lorsque j'ai demandé à Atsunobu K. d'intervenir dans cette soirée soit en réalisant une oeuvre soit une performance. Il m'a tout de suite parlé d'un projet qu'il avait en tête mais pour cela il lui fallait trouver un/une chanteur. Nicolas Ly s'est révélé être cette personne. C'est ainsi que l'aventure See of love a commencé, performance écrite à 4 mains.
Fin du service place à la dégustation
Leïla s'assoit et raconte le... Mythe de Narcisse
Narcisse est un jeune homme de la mythologie grecque, doté d'une grande beauté. Dans Les Métamorphoses d'Ovide, il est le fils du dieu-fleuve Céphise et de la nymphe Liriopé. À sa naissance, sa mère apprit de Tirésias (devin aveugle de Thèbes) qu'il vivrait longtemps, pourvu qu'il ne vît jamais son propre visage. Cependant, arrivé à l'âge adulte, il s'attira la colère des dieux en repoussant l'amour de la nymphe Écho. Poussé par la soif, Narcisse surprit son reflet dans l'eau d'une source et en tomba amoureux ; il se laissa mourir de langueur ; la fleur qui poussa sur le lieu de sa mort porte son nom.
Narcisse comme on le sait vénère une « illusion ». Mais après tout, tout n'est pas qu'illusion...
> Performance - salle plonée dans l'obscurité.
Leïla :
Voilà la soirée touche à sa fin je tiens à remercier chaleureusement Maryline Robalo, Marie Cantos, les artistes, Chloé, Kader, Pauline et Bertrand ainsi qu'à Arlette et Marc Simon et la galerie Laurent Mueller pour leur « mécénat ». Pour terminer en beauté je vous invite à boire le verre de l'amitié accompagné de mets pakistanais.
On n'y voit rien exposition pensée pour une soirée à 3 Temps, Leïla Simon, 2015
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Terrae incognitae
Présentation d'un workshop à Eac Les Roches avec Roland Cognet, Cécile Hesse & Gaël Romier, Elsa Sahal, Arlette Simon et Marc Simon, commissaire de l'exposition Leïla Simon, galerie Accro Terre, Paris, 2014
L’exposition Terrae incognitae présente des oeuvres en céramique réalisées à l’occasion d’un workshop à l’Espace d’art contemporain Les Roches (Eac Les Roches).
Arlette et Marc Simon, artistes céramistes et directeurs artistiques d’Eac Les Roches, ont invité dans leur atelier quatre artistes dont ils apprécient les recherches et le travail : Cécile Hesse et Gaël Romier, duo qu’ils avaient convié en 2010 à exposer à Eac Les Roches, Roland Cognet et Elsa Sahal. Ils souhaitaient ainsi créer un espace, un temps propice à la réflexion et aux échanges autour du matériau qu’est la terre entre des artistes de diverses disciplines photographes, sculpteurs utilisant essentiellement la céramique ou pas du tout. L’objectif était non pas que ces artistes-invités passent commande à un céramiste pour réaliser une pièce mais au contraire de dépasser cela et de « mettre la main à la pâte ».
Ces dernières années les artistes du monde de l’art contemporain ont pris conscience des multiples, pour ne pas dire infinies, potentialités de la céramique. En effet ses propriétés plastiques offrent une palette considérable de possibilités : souplesse, densité, sensualité ou au contraire rugosité (terre chamottée), capacité à se plier, à s’affaisser, à préserver les empreintes…
Sa malléabilité est idéale pour une expression spontanée ou réfléchie. La gestuelle qu’implique ce matériau, que ce soit du grès, de la porcelaine, de la faïence etc., est appréciée et exploitée. Le fait de pouvoir garder la trace du mouvement témoigne de la dynamique du geste de l’artiste. Geste pouvant être laborieux tout en étant empreint de promesses.
La part d’inconnu dû au séchage et à la fusion pendant les cuissons devient une qualité qui permet d’aller plus loin. Les surprises qu’elle réserve (coulures, craquelures…) confèrent à la céramique une part de magie non négligeable.
La céramique est non seulement sculpture, mais aussi installation, peinture, performance… Ce workshop est une invitation à de nouveaux horizons. Pour certains c’est une réelle découverte de la terre pour d’autres c’est un approfondissement voire des re-découvertes.
Arlette Simon s’intéresse plus particulièrement à la création de volumes où les vides et les pleins participent d’un même équilibre tendu. Utilisant parfois le néon pour révéler les jeux de lumières et de surfaces. La plasticité et les émaux de ses Entrechats nous font penser à d’autres matériaux que la céramique.
La terre est également une analogie au corps humain. A l’instar de Marc Simon qui réalise des œuvres sculpturales très expressionnistes, parfois anthropomorphiques, aux formes telluriques propres à des univers fantastiques. Analogie que l’on trouve aussi dans le travail d’Elsa Sahal où ses sculptures, figures en morceaux, évoquent des sensations, des états de corps féminins.
Nouveau champ d’action donc pour Cécile Hesse & Gaël Romier. Ces artistes reprennent les codes des assiette-souvenirs en porcelaine pour leur donner une toute autre dimension. Il en découle un univers réaliste toujours empreint d’un supplément fictif cher à ces artistes.
Lorsque les éléments en céramique sont parmi d’autres ils participent d’un projet global constitué d’éléments divers. C’est ainsi que chez Roland Cognet le geste du sculpteur trouve dans la pratique céramique l’élément qui accomplit l’ensemble de son projet.
Leïla Simon
Déplier-les-possibles
Exposition avec Jennifer Brial, Marta Caradec et Sarah Garbarg, commissariat de l'exposition Marion Alluchon & Leïla Simon, 3-Maison Saint-Honoré, Paris, 2014.
« … imaginer, c’est déplier le possible à partir du réel... », Gilles A. Tiberghien
De l’Ukraine à Gaza, l’actualité internationale regorge de conflits de territoire. Elle nous rappelle que, par essence, le territoire est une projection de l’Homme, soumis aux aléas des affaires humaines. Outil de représentation par excellence du territoire, la carte n’est-elle pas, sous couvert de le décrire, le moyen de se l’approprier ?
Présentées pour la première fois ensemble, Jennifer Brial, Marta Caradec et Sarah Garbarg s’emparent de cartes. Mise sens dessus dessous, la carte est effacée ou recouverte, découpée puis recollée, ses coordonnées détournées. Parfois même, certains de ses éléments s’affranchissent de la planéité, acquérant alors une physicalité inédite. Or, si la référence au territoire n’a pas complètement disparu, les œuvres de ces artistes sont moins des commentaires sur l’état politique international, que des fenêtres ouvertes sur le monde des possibles. Reliant des points, traçant de nouvelles voies, elles dérogent à l’unicité scientifique de sens et préfèrent invoquer la multiplicité des points de vue. Toute donnée scientifique devient abstraction ; et la carte, détournée non seulement de sa valeur d’usage mais aussi de son but premier, évolue en une projection poétique et subjective du monde. Posséder une carte, c’est se rendre maître d’un univers dont on détient les clés, en s’imaginant des contrées que l’on fait siennes.
Au gré des tours et des détours du 3-maison, nous invitons le spectateur à se laisser désorienter par les méandres de ces nouvelles « cartes » et à s’y projeter, à son tour, pour y trouver ses propres repères sinon de nouveaux sens d’orientation.
Marion Alluchon et Leïla Simon, 2014
Pérennité passagère
Exposition personnelle d'Atsunobu Kohira, commissaire de l'exposition Leïla Simon, Eac Les Roches, 2014
Sur la pointe d’une herbe
Une matière, une simple matière noire, à ressentir, à vivre. Non pas un gouffre mais une matière paradoxalement opaque et fluide. Puis une impression de profondeur d’où se détachent des ombres noires aux tonalités variées. Des bruits aux sources confuses.
Cette profondeur laisse place, peu à peu, à une sensation d’immensité où chaque son détient sa place, éclot là où il faut quand il faut. L’obscurité nous enveloppe. Nos sens sont en éveil captant avec minutie les moindres variations. Au fur et à mesure que le temps s’écoule tout se fait plus précis. On entend, on voit mais surtout on ressent le crépitement du feu, les gestes consciencieux d’Atsunobu Kohira pour l’attiser et le raviver, l’huile essentielle s’écoulant goutte à goutte. Les échelles s’inversent, le temps se dilate. La nuit devient une matière nous permettant de mieux voir, de ressentir ce moment d’immédiateté pérenne, de vivre l’œuvre.
Sur la pointe d’une herbe
devant l’infini du ciel
une fourmi. Hôsai
En 2012, j’écrivais qu’« il est souvent question, […], du geste en tant qu’acte chez Atsunobu Kohira : geste de peintre (proche des réflexions des peintres zen japonais, de Jackson Pollock…), geste de musicien, geste de captation, geste d’artiste du XXIème siècle en lien avec son temps et le passé et surtout geste de sculpteur dans la continuité des réflexions de Guiseppe Penone. L’enregistrement de paysages du temps, l’utilisation du son, la mise en évidence de la pensée de la matière sont avant tout des actes de sculpteur. » L’exposition Pérennité passagère est dans cette continuité. Tout est question de geste.
Errance libertaire des gestes et du regard. Le souhait de ne pas tout programmer, de ne pas concevoir au préalable démontre la volonté de l’artiste d’expérimenter, de vivre l’instant sans l’avoir préparé. Il se concentre sur ce qui est là, à la fois éphémère et éternel.
Il réalise un instant-œuvre de moments-témoins. Pour capter un simple rien fondamental ou des mouvements invisibles, il doit trouver le bon point de vision, de sensation qui lui permettra de les enregistrer dans leurs moindres détails pour mieux les déceler. Atsunobu Kohira recherche la nature fondamentale des éléments. Les parties superflues sont retirées, la beauté et la préciosité naturelle environnante sont ainsi révélées, montrant ce qui nous entoure tel que c’est. L’artiste détecte un terreau propice à la prise de conscience de nos sens. Atsunobu Kohira saisi pour restituer une réalité à partir d’une expérience directe. L’expérience permet de recevoir. L’œuvre finale permet d’exprimer le résultat quel qu’il soit. L’inattendu est moins un obstacle qu’une façon d’approfondir le sujet.
Atsunobu Kohira n’entend pas fixer les choses mais les révéler. Le moment vécu, puis sa trace, sont privilégiés. Sound in the glass est justement l’empreinte d’une expérience où le souffle de l’artiste dans une trompette créa et modula une boule de verre. Le son n’est pas figé mais exposé. L’immédiateté est restituée.
Afin que l’on ressente chaque élément qui nous entoure Atsunobu Kohira met en valeur des donneurs de sensation. L’artiste saisi, laisse flotter pour dévoiler. L’hydrolat des alentours est diffusée dans l’Espace d’art contemporain Les Roches qui baigne ainsi dans l’odeur des forêts environnantes.
L’environnement est évoqué, une mise en abyme est proposée. L’artiste et le visiteur partagent, ressentent un même espace. Nous sommes convoqués au plus près de notre palette sensible pour « compléter » l’œuvre. Des sensations éclosent. Il se dégage un sentiment d’ouverture à l’insondabilité des choses que nous avions laissées de côté.
Les gestes sont ici tout aussi importants que la présentation finale. Le carton d’invitation est un des détails d’une gravure tirée à 125 exemplaires par l’artiste lui-même. Pour Herbier du Chambon-sur-Lignon l’artiste a choisi des plantes, des branches qu’il a ramassées, coupées. Puis il les a fait sécher et en a de nouveau sélectionnées. Nous retrouvons ces dernières présentées sur les vitres d’Eac Les Roches et dans des photogrammes. Dans sa quête d’améliorer la visibilité de l’imperceptible Atsunobu Kohira a réalisé un nouveau paysage du temps. La poudre de graphite vient révéler le son enregistré pendant la durée du temps de pause photographique.
Atsunobu Kohira suggère et sollicite les mouvements frémissants de la partie et du tout. Son travail nous réapprend l’infinie diversité de la nature bien vivante et agissante. Prenant ainsi conscience de la biodiversité dont nous faisons partie, ce qui nous renvoie à notre propre responsabilité face aux catastrophes naturelles. Ses œuvres aiguisent nos sens, affinent notre regard, ajustent nos perceptions. L’œuvre d’art ne se résume pas, ici, à l’objet et à sa présentation elle est aussi les gestes, l’expérience et tout ce qui a pu se ressentir à ce moment-là.
Leïla Simon, 2014
commissaire de l'exposition Pérennité passagère, Atsunobu Kohira à Eac Les Roches 2014
En Pistes
Exposition collective avec Jean-Max Abrial / Caroline Deléage Monteil / Charly Pouderoux, Régine Mondon, Arlette Simon, Clio Simon et Marc Simon, commissaire de l'expo : Leïla Simon, Eac Les Roches, 2013
Le Suc de Sara, Jean-Max Abrial/Caroline Deléage Monteil/Charly Pouderoux, installation vidéo.
Clio Simon, Le Bruissement de la parole, Chili, 2013, film, 17mn.
Régine Mondon, Topos, 2013, matériaux mixtes
Marc Simon, Démons et Merveilles Rouges : Ila, 2013, céramique et vidéo
Arlette Simon, Périglaciaire, 2013, céramique, néon, boule à facette, bande son Félix Blume : Poteau éolien, 13mn.
En Pistes
Définitions sélectionnées de piste :
- Trace laissée suite à un passage.
- Indice qui guide quelqu’un dans une recherche et doit le conduire à quelque chose.
- Chemin, voie.- Scène dans le monde du spectacle vivant.
- Morceau de musique sur un support tel que CD, vinyle…
Définitions qui en découle :
- Circulation – Mouvement Voyage – Paysage – Découvertes – Frontière – Sensation Partition.
L’installation Suc de Sara réalisée par Jean-Max Abrial / Caroline Deléage Monteil / Charly Pouderoux est constituée de quatre guérites. Les trois premières, dressées telles des sentinelles, annoncent la quatrième qui s’en distingue par sa grande taille et sa position horizontale. L’idée de frontière paraît évidente : être à la frontière de deux espaces, de deux mondes, mais être aussi proche de quelque chose d’inaccessible. Le sentiment d’un paysage abandonné est complété par ce déferlement d’images projetées à l’intérieur de la quatrième guérite. On y perçoit un personnage franchissant des portes. Mais alors qu’il pourrait nous guider, nous montrer un passage possible, ses apparitions subtilisées par ses disparitions nous laissent un sentiment de distance. Il en est de même avec la vidéo, De l’orée trop sombre d’une mer trop sèche, de Anje Macdaniel. Un homme nu sur la plage ouvre des portes imaginaires. Il s’avance au bord de la mer et observe quelque chose se situant hors-champ, puis il repart et referme ces mêmes portes imaginaires. A aucun moment nous ne voyant son visage. Ce sentiment de proximité inaccessible est accentué par la création sonore diffusée dans tout l’espace où des sons, qui nous sont pourtant familiers, se retrouvent perturbés par la composition mise en place. Heurtés et bouleversés ils deviennent difficilement identifiables, et de ce fait insaisissables.
Le son détient également une place importante dans le film de Clio Simon. Intitulé Le Bruissement de la parole, il prend pour partition
le récit des Paroles gelées de Rabelais qui restitue peu à peu à l’oreille des batailles passées et questionne des catastrophes à travers différentes strates temporelles. Clio Simon prend ici pour cadre le Chili, cependant le message reste à portée universelle. Le film se déroule dans le désert d’Atacama, un lieu chargé d’Histoire où des chantiers archéologiques y ont révélé des traces datant d’avant la colonisation espagnole. C’est aussi ici que les Disparus de la dictature de Pinochet ont été exécutés et enterrés secrètement. Ce désert est ainsi exploré, scruté par les archéologues, les historiens, les proches des disparus à la recherche de traces… Le Bruissement de la parole nous dévoile les quêtes d’un passé qui ne passe pas où la mémoire détient un rôle essentiel. Ce projet est en effet « travaillé par la mémoire avec tout ce que cela induit de fiction, le souvenir est tronqué, altéré, incertain. L’acte de mémoire est ici reconstitution, source de bégaiement et d’interprétation. » (Clio Simon)
Nous retrouvons aussi l’idée de trace dans les dessins de Régine Mondon. Cette fois-ci il s’agit de la trace d’un paysage déposée dans le souvenir et aussi par les gestes de l’artiste.Topos est une installation où s’opère une réflexion sur le dessin via divers supports. Le dessin envahit l’espace qui lui-même devient ainsi Dessin. L’espace permet de créer la ligne, élément important dans le travail de Régine Mondon. En effet ces lignes rouges sont une même figure répétée créant une variation. La phrase de Jean-Marie Gleize vient compléter cette déclinaison. Ces lignes, tels des horizons à l’équilibre silencieux et délicat, suggèrent et structurent un paysage à expérimenter. La légère, presque imperceptible discontinuité de la ligne demande à prendre le temps de la découvrir. Alors que l’installation Suc de Sara nous tient volontairement à distance provoquant en nous un sentiment de frustration, ici, le spectateur, tel un funambule, souhaite rester dans cet infime interstice à la limite du plein et du vide, frôlant la disparition, effleurant le Rien.
Avec l’installation Démons et Merveilles Rouges : Ila, Marc Simon invente une nouvelle mythologie à partir de ses lectures, de sa connaissance de l’Histoire et de l’Histoire de l’art, de ses voyages, de son imaginaire… Nous avons l’impression d’avoir tout juste manqué la fermeture du passage passant d’un monde à un autre. En effet les personnages d’aspect tellurique semblent sortir depuis peu de la matière. Leur surface, qui à la fois attire et effraye, est imprégnée du mouvement de l’acte « créatif ». Ces sculptures à la beauté fantastique sont un mélange de formes accidentée, mi humaine mi animale, rocheuse, volcanique. L’image en mouvement projetée tout autour évoque un univers sylvestre installant les sculptures dans un monde onirique et fantastique. On ressent du drame, le tourment du romantique mais également la passion de vivre. Il en découle ainsi de la poésie, une nouvelle cosmogonie.
Il est aussi question de matière dans Périglaciaire d’Arlette Simon mais cette fois-ci avec un intérêt pour la transparence, les jeux de lumière, de reflet, de circulation et d’enchevêtrement possibles. La diffusion de la bande son de Félix Blume, Poteau éolien et la lumière bleutée des néons parsemée de taches colorées de la boule à facette enveloppent les plaques et les serpentines blanches en céramique. Ce jeu de lumière vient révéler les différences de matière, de surface qui selon les endroits peut être mate, brillante, légèrement poreuse, lisse ou avec des coulées. L’évocation dans le titre d’un paysage glacé est intensifiée et multipliée par les différentes teintes de blanc des éléments en céramique sur lesquels glisse la froideur bleutée des néons. Cette installation développe des mouvements dansés aux circulations sinueuses, circulaires et traversantes. Périglaciaire, nous propose ainsi un paysage où le sonore et le visuel deviennent aussi tactiles.
Leïla Simon,
Commissaire de l’exposition En Pistes à Eac Les Roches, 2013
Traversée d'Archipels
Esposition collective avec Cécile Beau et Gil Savoy, Charlotte Charbonnel, Sarah Garbarg, Atsunobu Kohira, Mari Minato, Benoît Pype et Leïla Rose Willis. Commissaire de l'exposition : Leïla Simon, Esadhar, Le Havre, 2013
En faisant référence à une navigation, à une exploration d'île en île, Traversée d'Archipels, dessine un espace temps propre à la contemplation et aux découvertes. La contemplation est ici matière à élargir nos réflexions, la précision et la concision en disent juste assez tandis que la minutie valorise des lectures sous forme de strates. La première lecture n'explique pas la seconde, chacune apporte un autre regard, une signification supplémentaire.
Traversée d'Archipels interroge le regard et l'écoute tactiles. Laisse le soin au spectateur de vivre la scène, de comprendre le message, sans le guider directement. Le spectateur est un des interprètes de cette traversée. L'attention est attisée par la suggestion d'un événement ouvrant ainsi au spectateur des échappées pas si lointaines.
Leïla Simon, 2013
Commissaire de l'exposition Traversée d'Archipels
De l'autre côté
Exposition personnelle de Claire Tabouret, commissaire de l'exposition Leïla Simon, Eac Les Roches, 2013
Texte paru dans le catalogue Eac Les Roches 2013
Claire Tabouret, Passeur de Temps où il est question de regards
L'intérêt de Claire Tabouret pour les réflexions contemporaines de la peinture tels que la réinterprétation d'images déjà médiatisées (photographies d'actualité) et/ou leur manipulation (zoom, montage, hors-champ) lui permet de traiter des thèmes essentiels de notre société.
Alors que nous sommes submergés d'images, Claire Tabouret choisi d'en retenir certaines. Ce tri peut s'opérer sur le net ou parmi des souvenirs de famille. S'inspirant de ces photos, elle les transforme, se les approprie pour en donner un autre résultat, son propre regard.
Cette démarche frôlant l'expressionnisme ne tente pas de faire croire à une authenticité première. En fait, ce qui est actif dans ses tableaux, c’est une sorte de sentiment réfléchi, riche de sens. Ses peintures nous appellent et comme le décrit Roger de Piles, elles pensent sans mots. Elles nous attirent, nous fixent, nous parlent, nous incitant à nous arrêter. La silencieuse puissance de la peinture dont parle Eugène Delacroix s'avère en effet dévoiler la pensée plus ou moins consciente de l'artiste.
Telle les peintures d'Histoire celles de Claire Tabouret sous-tendent un message. Elles manifestent un moment tragique actuel tout en le replaçant dans l'Histoire de l'Art. En effet, nous ne pouvons pas ne pas penser, entre autre, au Radeau de la Méduse de Théodore Géricault. Il est aussi question, chez Claire Tabouret, de contestation de ce qui se passe ou plus précisément de ce qui ne se passe pas. Elle a l'audace de saisir et de porter ces sujets aux dimensions d'une grande toile. Elle métamorphose un banal cliché trouvé sur internet en un moment fort et saisissant. Ses peintures raccordent non seulement l'Art mais aussi l'Histoire de l'Art à l'actualité politique, sociale, économique...
Claire Tabouret nous invite non seulement à constater mais aussi à décrypter et à trier les informations que nous recevons. En effet, De l'autre côté présente des peintures où les sujets devenus tellement banals nous laissent plus ou moins indifférents. La peintre nous permet par cette représentation de dévoiler les couches du réel, d'avoir une lecture en profondeur, de formuler nos pensées. Car il y a en effet une nécessité à montrer ces sujets, à prendre le temps de les regarder. Ces migrants dont le voyage est simultanément forcé et volontaire, imprégnés de rêves de liberté et de tranquillité plus ou moins fantasmés et peut-être aussi redoutés, doivent nous interpeler, nous toucher dans notre condition de citoyen.
Nous ressentons le poids des présences et des regards des personnages pourtant terriblement muets. Ils semblent saisis dans une temporalité incertaine, comme si ils étaient endigués dans un espace-temps entre deux rives. Un profond et vague sentiment d'errance, de perdition et de solitude est ainsi renforcé. Cette suspension du flux temporel peut toutefois éclater à tout instant. Ils nous regardent, nous les regardons, de cet échange peut naître un retour à la case départ ou l'atteinte de la liberté. Ce climat étrange est aussi accentué par ces ambiances nocturnes, aqueuses voire orageuses.
Le travail sur les ombres et la lumière est récurent chez Claire Tabouret. C'est ainsi que les crevasses d'un visage, par exemple, renforcent un traitement de la lumière façon clair-obscur. Mais il ne s'agit pas seulement d'un ordonnancement d'ombres portées qui implique une lumière. Si quelquefois des éléments sont éclairés alors qu'un autre devrait le tenir dans l'ombre c'est que ce premier élément est de la peinture avant d'être de la représentation. Claire Tabouret met en évidence une identité, un récit qui répond aux nécessités de sa peinture.
Chaque visage est certes singularisé mais la gestuelle contribue à la fois à les définir comme des individus à part entière et comme des abstractions. A l'instar de Thomas dans Blow up, plus Claire Tabouret zoom sur un détail, plus ses peintures, ses portraits confinent à l'abstraction. Plus le spectateur se rapproche, plus ces portraits ont un aspect flouté.
Cette artiste peint non seulement des personnes mais aussi le passage du temps, le passage entre deux espaces, le passage en tant que métaphore. Ses peintures sont travaillées par plusieurs temporalités. Les temps s'enchevêtrent montrant ainsi qu'il n'y a pas un seul temps. Avec la durée les couches de sens, de réflexions conscientes ou inconscientes du peintre apparaissent peu à peu, créant ainsi une intimité entre le spectateur et la peinture.
La notion de temps est aussi présente avec ces couleurs, le plus souvent délavées, voire épuisées et ces dégoulinures, tel un filtre, un rideau créant une mise à distance.
Claire Tabouret s'inscrit dans l'actualité par les thèmes retenus mais aussi par sa démarche artistique nous rappelant celle de peintres contemporains tel que Luc Tuymans, Marlène Dumas... Les retraits, les ajouts, les renvois contribuent à nous démontrer que nous n'avons pas sous les yeux un fragment existant, mais une image construite par l'artiste. Tel un passeur, Claire Tabouret nous apprend à voir, à nous positionner.
Leïla Simon, 2013
pour visualiser le site de l'artiste cliquez ici
Brèves variations des chants
Exposition personnelle de Cécile Beau, commissaire d'exposition Leïla Simon, Eac Les Roches, 2012.
Texte paru dans le catalogue de Eac Les Roches, 2012 pour l'exposition Brèves variations des chants de Cécile Beau. Pour lire le catalogue cliquez ici
Installations, sculptures visuelles et/ou sonores, images constituent le travail de Cécile Beau. Des paysages sont ainsi proposés, paysages aux multiples champs, réalisés à partir de fragments, d'enregistrements, d'assemblages sonores ou visuels, de la nature ou purement technologiques. Le tout dé-contextualisé, absorbé, réorganisé... Où toute trace de vie est terriblement et à la fois délicieusement absente. Une première impression, sensation en découle, puis, petit à petit, des détails infimes, subtils nous font basculer dans les univers de science-fiction propres à Cécile Beau, incitant à nous projeter dans notre imaginaire.
Dérives paysagères
La pénombre dans laquelle est plongé l'espace d'exposition d'Eac Les Roches demande un moment avant de distinguer l’ensemble de la salle. La descente des escaliers, passage progressif pour transiter dans l’univers de Cécile Beau, nous conduit spontanément à C=1/Ѵρχ se dévoilant tel un vaisseau spatial, une ville du futur se mouvant dans un halo lumineux. Ces architectures de verre reprennent les formes d'un attirail d'alchimiste.
Des sons s'y glissent, s'y remodèlent jusqu'à en perdre leur texture première parcourant et relayant des lieux invisibles. Des variations sonores en découlent, parfois non-identifiables, sons technologiques relevant de la science-fiction, parfois reconnaissables tels des chants d'oiseaux.
Cette architecture utopique, musicale et poétique diffuse de l'espace, propose un paysage. Paysage du futur, de fiction sans trace de vie humaine semblable à une ville fantôme se détachant de la brume.
Habitués à la pénombre, enveloppés par les sons, notre regard vagabonde et découvre progressivement, tel un mirage, Fodere, plaques de béton, disposées tout autour de C=1/Ѵρχ et sur lesquelles se distingue en contre-bas une ligne ondulée. Trace d'une montée des eaux passée, empreinte... ? De plus près, ces plaques nous révèlent la ligne d'horizon d'un paysage que le souffle d'une irruption ignorée aurait marqué, imprimé puis que le temps aurait fossilisé. Vestiges d'un paysage, cette fois-ci archaïque et endormi, où la vie passée est figée à jamais. Cette découverte de l'ordre du merveilleux défie l'espace et le temps, où Cécile Beau y a dessiné de l'étrangeté à la sérénité diffuse.
Poursuivant notre déambulation, nous découvrons Sillage, sculpture sonore et vidéo de Cécile Beau en collaboration avec Nicolas Montgermont. Ce plan rectangulaire au liquide noir se présente paisible et séduisant. Notre oeil, mis en éveil, capte brièvement des ondes traversant la surface aquatique et disparaissant. Ces sillons, telles des traces de labours dans la terre, sont donnés à voir par le reflet de l'image d'une grille projetée orthogonale au plafond et déformée par les mouvements circulaires sur le liquide noir.
Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que l'on prend conscience de sons diffus, infiniment discrets, presque imperceptibles, proches de ceux d'un tourne-disque ayant fini de lire le vinyle sans avoir été arrêté ou de grésillement d'une radio en perte de fréquence.
Progressivement, le rapprochement s'opère entre la grille se mirant sur le liquide noir, les secousses redéfinissant perpétuellement l'oeuvre et ces sons tirés d'un sismographe enregistrant l'amplitude d'un tremblement de terre. Le quadrillage rigoureux et scientifique de la grille, composant artificiel, offre au premier regard une vision séduisante pour évoquer un événement générateur d'effroi de l'ordre du terrestre, du tellurique, d’une dynamique géologique.
Brèves variations des chants met en éveil l'écoute et le regard opérant ainsi un travail de projection aux divers champs des possibles. Cette exposition est une déambulation en boucle dans un monde souterrain inconnu où aucune vie n'est détectée. L'atmosphère est parsemée d'éléments de science-fiction, archaïques, aquatiques et technologiques. Partant à la découverte de cet univers caverneux, nous perdons tous nos repères, seuls le temps et l'observation nous révèlent des détails jusqu'alors imperceptibles où les sons, les traces, les secousses viennent tisser et dé-tisser d'indomptables récits.
Leïla Simon, commissaire de l’exposition Brèves variations des chants
pour visualiser le site de Cécile Beau cliquez ici
Drôle de Temps
Exposition collective avec Cécile Hesse et Gaël Romier et Atsunobu Kohira, commissaire de l'exposition : Leïla Simon, galerie Jeune Création, Paris, 2011
Drôle de Temps
Tout a commencé par cette fameuse réplique :
Louis Jouvet - Bizarre, bizarre
Michel Simon - Qu'est-ce quil a ?
L. J.- Qui ?
M. S.- Votre couteau
L. J.- Comment ?
M. S.- Vous regardez votre couteau et vous dites «bizarre, bizarre», alors je croyais que
L. J.- Moi, jai dit «bizarre, bizarre» ? Comme c'est étrange. Pourquoi aurais-je dit «bizarre, bizarre» ?
M. S.- Je vous assure, cher cousin, que vous avez dit «bizarre, bizarre».
L. J.- Moi, jai dit bizarre ? Comme c'est bizarre !
Cette réplique est extraite d'un film de Marcel Carné, Drôle de drame. Deux personnages se détestant respectueusement, incarnés par Michel Simon et Louis Jouvet, sont entrain de dîner. Le premier mal à l'aise de mentir au second, crée des situations rocambolesques, que le second interprète comme étant la preuve de sa culpabilité. La méprise induite par la bizarrerie engendre une lecture tout autre de la réalité, d'un fait relativement banal.
Le point de départ de cette exposition est ce film, plus particulièrement cette réplique. Le fil de mes idées, mon cheminement m'en ont distancé tout en gardant l'empreinte, le goût de cette atmosphère, de ces impressions.
Le temps sécoule ? Le temps bruisse ! Il était une fois, un sablier qui donnait à entendre le temps, à l'écouter dans sa durée. Nous installant ainsi dans un espace sonore et visuel. Le temps est suspendu et se donne à entendre comme celui dun paysage figé par la glace qui crisse.
Nous avons plaisir, en un court instant dilaté, à écouter le temps qui passe et pour renouveler l'expérience il suffit de (re)retourner Soundglass. Atsunobu Kohira nous dévoile la beauté de cet espace indéfini où parait se dérouler irréversiblement les existences dans leur changement.
Le temps est aussi suspendu dans les photographies de Cécile Hesse et Gaël Romier : Picnic à l'Ether, Pour le Meilleur et pour le Pire, Talons Epluchés. A la fois sages et violentes, rationnelles et irrationnelles, générant des atmosphères dans un univers réaliste mais détenant un supplément fictif aux regards de nos esprits fantasques.
Tout comme dans Soundglass, c'est le détail de ces artifices qui nous fait basculer de l'autre côté du miroir, ouvrant des échappées vers le rêve aux contours insaisissables, détricotant ainsi nos certitudes, interrogeant notre regard sur ce qu'il croit connaître. Ces œuvres redessinent le monde réel en déplaçant avec poésie la perception de celui-ci. Nous nous trouvons ainsi un rôle en tant qu'acteur dans le théâtre du quotidien en le nourrissant de nos fantasmes.
Leïla Simon
commissaire de l'expositon Drôle de Temps, 2011 à la galerie Jeune création, Paris
pour le site de Cécile Hesse et Gaël Romier cliquez ici
pour le site d'Atsunobu Kohira cliquez ici
Dual
Exposition personnelle de Kyoko Nagashima, commissaire de l'exposition : Leïla Simon, Eac Les Roches, 2011
Texte paru dans le catalogue Dual exposition de Kyoko Nagashima à Eac Les Roches, 2011
Passages
« Je pense que nous vivons dans un monde, ce monde, mais qu'il en existe d'autres tout près. Si vous le désirez vraiment, vous pouvez passer par-dessus le mur et entrer dans d'autres univers. »
Haruki Murakami
Lors de ma première rencontre avec Kyoko Nagashima j'ai été fascinée et intéressée par son travail offrant des possibilités de passer de l'autre côté du mur, de basculer dans d'autres univers. Nous avons l'impression de flotter au dessus d'un monde suspendu, d'être hors du temps, dans un état de somnolence... À travers ses écrits, Haruki Murakami nous fait percevoir d'autres univers. A travers son travail, Kyoko Nagashima crée des passages pour accéder « de l'autre côté du miroir », nous montre les circulations entre le conscient et l'inconscient.
« Paysages oniriques » pourrait être la première définition que je donnerais du travail de Kyoko Nagashima. Les architectures de l'ensemble photographique There semblent irréelles, suspendues hors de notre temps, rappelant celles du vaisseau spatial de 2001 l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick.
Kyoko choisi de réaliser toutes ses photographies sur du lenticulaire acrylique 3D ce qui leur donne un effet mouvant et vaporeux accentuant ainsi cette impression de paysage onirique, aérien. Face à ces hologrammes nous nous sentons happés par l'atmosphère, envahis par la délicatesse du surnaturel, prêts à basculer de l'autre côté du mur. L'absence d'être vivant dans ces espaces se fait d'autant plus ressentir que notre ombre se trouve brouillée par le médium. Nous perdons nos repères et nous nous abandonnons à la rêverie.
Cette perte de repère nous la retrouvons dans la série Tune, où cette fois-ci un personnage féminin frôlant l'évanescence se cherche et s'égare à travers un univers sylvestre et fantasmagorique. Pour la photo, le procédé holographique permet à ce personnage d'apparaître et de disparaître selon nos déplacements.
Dans la vidéo, ce même personnage déambule délicatement dans cette forêt, espace infini, propice à la réflexion. Une observation minutieuse permet de découvrir que la forêt et la jeune femme ne se reflètent pas dans une surface aquatique mais que cette vidéo présente une image en deux parties. Ainsi deux mondes sont proposés. Le passage de la frontière entre ces deux univers est flou et mouvant comme le démontre le glissement et le renversement qui s'opèrent dans la vidéo. Celle-ci peut-être projetée au sol ou au plafond offrant ainsi la possibilité de tourner autour et d'avoir différents points de vue.
Dans Spiral, deux personnages féminins diaphanes descendent deux volées d'escalier en spirale. Elles circulent dans cet espace suspendu, figurant là-aussi une expérience initiatique essentielle à la construction et à la connaissance de soi. Cette déambulation fluide révèle le mouvement créé par les deux volées d'escalier. Kyoko a choisi ici le procédé en négatif effaçant toute trace de reconnaissance de l'architecture et des personnages, laissant place à la réflexion et à l'introspection.
Ces états sont traités différemment dans le triptyque vidéo Mirror. Deux durées s'entremêlent, se superposent, deux mondes se côtoient. Lustre en cristal ; paysages urbains à travers une fenêtre ; jeune femme éthérée aux multiples ombres.
Le monde de Kyoko Nagashima, d'une grande sensibilité, est à la fois léger et cérébral. Happés par le mouvement continu qui traverse son œuvre nous sommes profondément captivés par son univers éthéré. Son langage limpide, fluide est une manière diaphane de raconter une histoire où les choses et les êtres ne peuvent être qu'effleurés, nous conduisant ainsi vers les profondeurs infinies de l'onirisme et de notre inconscient.
Leïla Simon commissaire de l'exposition, Dual
pour le site de Kyoko Nagashima cliquez ici
Untitled / 1:1
Exposition colective avec Eden Morfaux, Clio Simon, whiteweekendkites, commissariat : Leïla Simon et Kana Sunayama / Untitled, Espace Brochage Express, 2010
Texte paru dans le catalogue de l'exposition Untitled / 1:1 , Brochage Express, 2010
Carte blanche autour de « qu'est-ce-que le commissariat d'exposition aujourd'hui ? » . Untitled saisit cette opportunité. Soulignons que cette question s'inscrit dans une réflexion actuelle sur la nature du commissariat face à la multiplicité de ses évènements et de ses formats infinis.
Nous souhaitions créer non pas une manifestation avec des œuvres déjà existantes mais un univers élaboré grâce aux discussions entre les commissaires et les artistes. Nous avions pour point de départ des ambiances : subtilité, présence/absence, interstice, réel/virtuel. Untitled déclencheur du projet, à la fois acteur et récepteur, proposa à trois artistes Eden Morfaux, Clio Simon et whiteweekendkites de répondre à l'invitation de Brochage Express. Ces artistes ne se connaissaient pas. Ils sintéressent tous de près ou de loin à l'architecture et ne se limitent pas à une seule discipline.
Eden Morfaux développe un travail en lien avec le vocabulaire architectural. Ses œuvres fonctionnent suivant le concept présence/absence. Une observation minutieuse permet de découvrir un leurre qui contrarie nos habitudes.
Clio Simon cueille des récits, les tisse entre eux afin de creuser dans leur imaginaire. Elle obtient ainsi des paysages visuels ou sonores à caractère documentaire grâce à la fiction qui les pénètre. Le documentaire serait alors une manière de révéler la mise en scène déjà existante au quotidien pour toucher ses personnages d'un peu plus près.
Whiteweekendkites, collectif d'architectes/programmeurs, développe ses recherches dans le champ esthétique et structurel. Nous avions présenté Vaporous boundaries_unsorted scene lors de DarkPearl/Kraken à la Générale. Nous souhaitions poursuivre nos réflexions avec ces « chercheurs ».
Chaque séance de travail, chaque rendez-vous, autour dun dîner ou via skype, nos échanges d'email, nos conversations téléphonique contribuèrent à dessiner notre univers. Il est apparu au fil de ces discussions qu'il était nécessaire de reconstruire à léchelle 1 le white cube tout en le faisant pivoter de 30°. Cette rotation permet de révéler l'interstice entre le réel et le virtuel, les œuvres prennent place dans et à l'extérieur du scaling. Le visiteur en entrant doit contourner un angle du scaling afin d'appréhender l'ensemble. A l'intérieur il retrouve ce même angle souligné par une lumière naturelle. Nous comprenons alors que quelque chose ne fonctionne pas comme d'habitude : pourquoi cet angle condamne t-il ce passage et pourquoi aucune œuvre ne l'habite ? Serait-ce un clin d'œil au white cube qui confère un caractère sacré à l'art ?...
Le visiteur prend alors conscience de l'existence du scaling grâce à cet espace vide et insolite. C'est dans cette ambiance que chacun des acteurs participe à Untitled /1:1.
Pour Untitled, le commissariat dexposition n'est pas seulement l'acte de réunir des œuvres mais plus une intention partagée avec les artistes invités sous forme de dialogues, d'échanges. Notre regard se nourrit de rencontres, de propositions conjuguées, d'une réflexion collective.
Leïla Simon, co-commissaire de l'exposition Untitled / 1:1
Mediatic Desert
Exposition personnelle d'Antoine Aguilar, commissaires de l'exposition : Leïla Simon et Kana Sunayama / Untitled, Eac Les Roches, 2009
Antoine Aguilar
Texte paru dans le catalogue de l'exposition Mediatic Desert à Eac Les Roches, 2009
Pour définir l'univers d'Antoine Aguilar j'emploierai le terme d'images mobiles qui englobe l'image vidéo, télévisuel, numérique. Nous vivons dans une société où l'image est omniprésente : une image séductrice et fascinante au service de l'individu ou l'envahissant ; façades d'immeubles d'où rayonne la lumière mobile des téléviseurs ; écrans d'ordinateur ; multitude de supports présentant, créant des images ; ondes les véhiculant à travers l'espace...
Antoine n'a pas pour intention de critiquer ce monde d'images mobiles, il souhaite les détourner en proposant d'autres manières d'appréhender le médium. Le titre de l'exposition qui se tient à l'Espace d'art contemporain Les Roches, Mediatic Desert, illustre ce choix, opter pour des images mobiles, surfaces « arides », difficilement saisissables, facilement transformables au gré des vents, que l'artiste vide de tous signes reconnaissables pour en présenter une nouvelle lecture. Il propose un autre regard, celui d'un plasticien face à l'image. Attitude comparable à celle des impressionnistes qui à leur époque, informés des découvertes sur la composition de la lumière, ont tenté de réaliser des images qui soient la mise en pratique de ces nouvelles connaissances scientifiques.
Cet artiste ne souhaite pas que l'on puisse rattacher son travail au monde télévisuel. Mais lorsqu'il réalise Vitrail Cathodique (France 2) nous ne pouvons pas ne pas penser à ce monde. A l'instar du spectateur de Ming de James Turrel, celui de Vitrail Cathodique (France 2) est tout de même amené à s'interroger sur cet objet. La chaîne France 2, dont le nom apparaît dans le titre, est programmée en continu ; le son de l'écran plat est coupé. Deux plaques de verres sont superposées. L'une peinte en référence au vitrail, l'autre sablée pour accentuer l'effet de flou. L'écran plat et le vitrail, dont la fonction est d'accueillir des images colorées et de véhiculer un message, sont dans cette œuvre juxtaposés. L'image devient donc illisible au profit d'une vision plus objective sur le pouvoir d'attraction et de fascination du monde télévisuel, soit une nouvelle définition de l'objet télé.
Dans Light River, le regard de l'artiste enregistré par la caméra est projeté via un vidéoprojecteur sur un miroir réfléchissant cette image contre un mur. Le jeu continu ainsi jusqu'au plafond. L'image est ici transformée par une mise en abyme où à chaque étape elle subit une légère modification. Le spectateur est enveloppé dans une ambiance abyssale. Avec l'onde aquatique l'artiste fait clairement référence, de manière poétique, aux ondes hertziennes véhiculant les images.
Avalanche, de trois quart de dos, illumine nos visages, modèle l'espace qui l'accueil à l'instar de la lumière diffusée par la télévision. Le spectateur doit la contourner, déambuler dans son atmosphère colorée afin de la voir dans sa totalité. Un éboulis de bris de verre se déverse de lécran. L'image est brisée, seul le changement de couleur rappelle le halo luminescent si familier.
Ces trois œuvres nous plongent dans l'univers de l'artiste qui crée un ensemble coloré, une ambiance aquarium qui n'est pas sans rappeler celle d'intérieurs dotés de vitraux. Ces derniers prennent vie avec la lumière qui les traverse et à leur tour ils donnent vie aux architectures environnantes en projetant leurs couleurs.
Enfin, nous arrivons à la brique nécessaire à la construction de l'édifice, le pixel. Contrairement aux autres œuvres présentées Gluon n'est pas visible au premier abord. Le spectateur aperçoit tout d'abord un œilleton sortant du mur de l'exposition. J'emploie précisément le mot œilleton, pour définir ce petit cylindre proche du judas, car dés que nous trouvons cette œuvre nous pensons automatiquement à Etant donnés, etc. Mais contrairement à Marcel Duchamp, Antoine nous installe dans l'attitude du scientifique qui scrute l'infiniment petit, plutôt que dans celle du voyeur. Le spectateur découvre alors un pixel. Pixel auquel l'artiste est tant attaché et que l'on retrouve dans sa série de dessins Snow, démarche pointilliste obsessionnelle, utilisant un procédé plus classique : quatre encres sur papier dont les dimensions font référence aux formats vidéos (4/3, 16/9).
Si l'artiste, pour Mediatic Desert, propose diverses redéfinitions des objets diffuseurs d'images en tant que objet lumineux, grâce à ces luminescences l'espace de l'exposition devient ainsi l'espace de l'œuvre et le spectateur a la possibilité de concevoir et penser les images, de laisser libre cours à son imagination.
Leïla Simon co-commissaire de l'exposition Mediatic Desert, 2009
Dark Pearl
Exposition collective avec whiteweekendkites, La Générale, Sèvres, sur une invitation de Pilllotti
Pour Kraken, Untitled vous invite à découvrir une facette de la recherche structurale du collectif d’architectes : whiteweekendkites. Leur travail consiste à développer l’architecture computationnelle par le biais de Rhinoscript afin de créer une forme physique, à partir de diverses données existantes à un moment précis et dans un environnement déterminé. L’importance est moins ce qui nous apparaît que le processus de création à travers leurs choix.
Untitled / Leïla Simon et Kana Sunayama